
Ostéoradionécrose
![]() ORN stade 4 | ![]() aspect radiologique |
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![]() ORN avec fistulisation cutanée | ![]() Aspect radiologique ORN |
Conditions d’apparition
L’irradiation du tissu osseux alvéolaire entraine des modifications au sein de celui-ci l’exposant plus particulièrement à l’infection bactérienne. L’ostéoradionécrose représente la complication la plus sérieuse de l’irradiation de la sphère oro-faciale.
Présentation clinique et physiopathologie
Le premier rapport de cas d’ostéoradionécrose fût rapporté par Regaud en 1922.
Elle se définit selon Store (2000) comme la présence de signes radiologiques de nécrose osseuse au sein d’un champ d’irradiation, une récidive tumorale ayant été écartée. Régaud nota l’absence de ligne de démarcation nette entre l’os nécrotique et l’os vivant.
L’ORN a été décrite par différentes théories :
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La théorie des 3H pour hypovascularisation, hypocellularité, hypoxie, théorie décrite par Marx. C’est la théorie la plus communément admise actuellement.
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La théorie des 2i (Dambrain) pour infection et ischémie, l’irradiation produit une fibrose et une oblitération des vaisseaux sanguins vascularisant l’os induisant ainsi un état hypoxique plus propice à l’infection.
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La théorie de la radiation- traumatisme- infection (théorie la plus ancienne) par Meyer.
L’approche contemporaine de la physiopathologie de l’ostéoradionécrose est la suivante, elle se déroule en trois phases :
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La phase initiale pré-fibrotique : il se produit des changements au niveau des cellules endothéliales avec une réponse inflammatoire accrue.
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La phase constitutive organisée, marquée par l’importante activité des fibroblastes anormaux et la désorganisation de la matrice extra-cellulaire.
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La phase fibro-atrophique tardive : le tissus atteint se remodèle et forme un tissus fragile qui présente un risque accru de réactivation inflammatoire tardive à l’occasion d’un traumatisme local.
L’ORN peut être spontanée (35% des cas) ou consécutive à un traumatisme dans 65% des cas (prothèse iatrogène, avulsion…)
Le risque de développer une ostéoradionécrose est proportionnel à la dose délivrée si cette dose est inférieure à 40 Gy le risque sera <6% et si elle est supérieure à 60 Gy le risque sera >20%.
Le risque est également plus important lors d’utilisation des nouvelles techniques de radiothérapie (RCMI) où il varie de 5 à 15% par rapport aux techniques d’irradiation bidimensionnelles (environ 1%). Ceci étant dû au fait que les nouvelles techniques d’irradiation permettent l’utilisation de doses plus élevées car l’irradiation est plus ciblée. Le risque est également plus grand si la radiothérapie est couplée à de la chimiothérapie.
Il faut par ailleurs savoir que le risque de développer une ORN est plus important à la mandibule qu’au maxillaire en raison d’une vascularisation terminale. 85% des ORN ont lieu au niveau de la mandibule en particulier au niveau de l’angle mandibulaire et de la branche montante de la mandibule. Par ailleurs, le risque d’apparition d’une ORN est bien plus important chez les personnes dentées que chez les édentées (en raison de la présence d’une porte d’entrée pour les bactéries que constitue la dent).
Tous les moyens doivent être mis en œuvre afin de limiter ce risque qui est plus important dans les cas suivants :
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cicatrisation post extraction ou mandibulectomie inachevée et début de radiothérapie.
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Irradiation de tumeur osseuse
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Doses très élevées (supérieures à 70 Gy)
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Radiothérapie externe associée à une curiethérapie
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Mauvaise hygiène orale et mauvaise coopération du patient
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Chirurgie dans les secteurs irradiés
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Abcès dentaire ou traumatisme avec effraction muqueuse et exposition osseuse dans les secteurs irradiés
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présence associée de désordres nutritionnels
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Xérostomie et trismus (qui favorisent la survenue de caries et de parodontopathies car ils limitent le maintien d’une hygiène bucco-dentaire correcte)
En général l’ostéoradionécrose se manifeste dans les deux premières années suivant l’irradiation (81% des ORN) mais le risque persiste à vie. Elle est observée chez 20% des patients qui ont été irradiés mais le risque est plus faible (5%) chez les patients édentés car il n’y a plus de porte d’entrée infectieuse dentaire.
L’ostéoradionécrose se manifeste par :
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L’absence de cicatrisation osseuse de plus de 6 mois après irradiation
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une douleur importante
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rupture de la continuité de la muqueuse et exposition d’os nécrotique avasculaire
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halitose
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trismus
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dysesthésie en cas d’atteinte du nerf alvéolaire inférieur
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dysgueusie
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rétention d’aliments dans la zone d’os exposé
Conduite à tenir
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en prévention :
Le chirurgien-dentiste devra faire l’avulsion prophylactique des dents le nécessitant avant l’irradiation, avec suture et attendre la cicatrisation muqueuse avant de commencer l’irradiation, pour cela il faut compter 21 jours entre l’avulsion et le début de la radiothérapie. En respectant ce délai nous arrivons à un taux d’ostéoradionécrose compris entre 1 et 9%. En cas de nécessité d’avulsion postérieure à l’irradiation une prescription antibiotique adaptée devra être faite. En effet les extractions sur un os irradié nécessiteront une antibiothérapie préalable, nous pouvons recommander de l’amoxicilline+ acide clavulanique 2 g par jour à commencer 2 jours avant l’acte et à poursuivre 10jours après pour le maxillaire et 15 jours après pour la mandibule. Dans tous les cas la balance bénéfice /risque devra être soigneusement évaluée.
Par ailleurs nous éviterons d’utiliser une solution anesthésique avec vasoconstricteurs sur un os irradié au-delà de 40 Gy en raison de l’ischémie transitoire que les vasoconstricteurs peuvent entrainer.
Afin d’éviter les traumatismes dus à une prothèse, la pose de prothèse amovible devra être différée à plus ou moins un an.
Un traitement de fond pour prévenir l’ORN sur ces sites peut être mis en place de façon non systématique, ce traitement pouvant être à base de vitamine E tocophérol (action anti-oxydante Toco®500mg/jour), pentoxyphillyne (activité anti-fibrose Torental® 400mg deux fois par jour au cours des repas) et clodronate (activité anti-ostéo-blastique Clastoban®800 mg deux fois par jour cinq jours sur sept).
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En curatif :
Le traitement « chirurgical » doit être aussi conservateur que possible et consiste, du plus conservateur au moins conservateur, en :
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une antisepsie buccale renforcée avec application de polyvidone iodée, une irrigation du tissu osseux exposé avec de l’eau oxygénée,
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une antibiothérapie au long cours
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une ablation du séquestre osseux.
Dès l’apparition clinique d’une nécrose nous pourrons réaliser un débridement et un curetage léger, avec l’application d’une mèche iodoformée maintenue par suture muqueuse ou une colle de fibrine. Après le curetage, l’ablation des tissus nécrosés et des séquestres, on pratique une large irrigation au sérum physiologique ou à la chlorhexidine, l’obturation de la plaie étant assurée par la colle biologique.
Ces soins seront préférentiellement effectués en milieu hospitalier.
Le traitement médical des ORN débutantes consistera en l’administration d’antibiotiques, d’antalgiques palier 2 et pourra être complété par des séances d’oxygénothérapie hyperbare.
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Les antalgiques prescrits pourront être les suivants, à adapter en fonction du patient et de l’intensité de la douleur :
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Paracétamol codéiné
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Chlorhydrate de tramadol
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Buprénorphine (en cas de douleurs plus importantes pallier3)
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Les antibiotiques seront prescrit au long cours (3 mois) plusieurs molécules peuvent être prescrites en fonction de leur pénétration dans l’os :
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Amoxicilline ou amoxicilline + acide clavulanique 2 à 3 g par jour
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Péfloxacine 800 mg par jour
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Spiramycine + métronidazole 6 comprimés par jour
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L’oxygénothérapie permet d’atteindre une concentration d’oxygène dans le sang de 7% soit 20 fois plus que la normale ainsi la déformabilité des globules rouges est augmentée, on obtient également une vasoconstriction des capillaires ce qui permet de résorber l’œdème vasogénique dans les tissus ischémiques. Cette thérapeutique à également un effet bactériostatique et bactéricide, ainsi qu’une action angiogénique et fibroblastique. De plus elle augmenterait aussi le taux de mort bactérienne par phagocytose. Cependant l’oxygénothérapie hyperbare représente un protocole de traitement relativement lourd et coûteux car il consiste en 30 à 50 séances de 90 minutes à 2.4 atm à raison de 5 séances par semaine. Par ailleurs l’efficacité de cette thérapeutique reste controversée . En effet, ses difficultés de mise en œuvre, son coût très élevé, ses risques, les études rapportées sur le traitement de l’ORN par oxygénothérapie hyperbare n’ont pas donné de preuves scientifiques satisfaisantes. Cette thérapie n’est donc incluse dans le protocole de prise en charge du patient irradié de la tête et du cou que de façon exceptionnelle.
Une alternative moins onéreuse et moins compliquée à mettre en œuvre que l’oxygénothérapie hyperbare est possible, il s’agit du Carbogène®. C’est une application topique d’O2 et de dioxyde de carbone par masque à oxygène (10L/mn à 95% d’O2 pendant 30mn).
L’efficacité du traitement conservateur devra être vérifiée par un contrôle mensuel, clinique et radiographique.
En cas d’échec une résection chirurgicale sera envisagée. Toute la difficulté de la thérapeutique des ORN réside dans le choix rapide du meilleur traitement, ainsi dans certains cas la chirurgie devra être envisagée d’emblée sans perdre des mois en traitements conservateurs.
Lors de curetage et de séquestrotomie il faudra, le plus souvent par voie endo-buccale enlever l’os atteint jusqu’à obtenir un os sain et saignant qui sera par la suite recouvert d’un lambeau bien vascularisé et sans tension. Lors d’atteinte plus importante une résection interruptrice devra être réalisée suivie d’un rétablissement de la continuité mandibulaire. Les marges de résection devront comporter au moins 1 cm de tissus sain de façon à obtenir des zones d’ostéosynthèses bien vascularisées. La reconstruction pourra se faire avec un lambeau de fibula. Des implants pourront être placés dans le lambeau de fibula.
A noter que le diagnostic différentiel entre ostéoradionécrose et une récidive tumorale devra être fait.